mercredi 15 février 2012

UNE DEMI-JOURNEE PRESQUE ORDINAIRE DANS UN SERVICE PUBLIC PUBLIC AU SENEGAL...

Comme il est rarement le cas, je me suis réveillé anxieux ce matin... Je dois en effet effectuer quelques analyses médicales dans un hôpital dakarois, et je sais par expérience que cela peut facilement virer au parcours du combattant. Certes, on sait comment cela commence (une demande faite par un médecin…), mais on se jamais comment cela va se passer, et surtout, quand ou comment cela finira. Tout est donc possible….

Déjà la veille, j’ai pris particulièrement le soin de bien mettre en marche le réveil. Il est impératif en effet que je me réveille tôt, beaucoup plus tôt que d’habitude, pour être parmi les premiers à l’hôpital, et éviter ainsi ces longues queues qui vous font « péter les plombs ». C’est fou d’ailleurs le nombre de queues que le sénégalais doit affronter tous les jours, pour quasiment toutes les occasions. Et me revient en mémoire cette proposition pleine de bon sens, mais ô combien naïve, qu’un cousin me fit, jadis : il suggérait en effet de supprimer tout simplement les queues, afin que tout aille plus vite et qu’on n’ait plus besoin d’attendre longtemps… Mais revenons à ma journée à l’hôpital, et c’est pour dire que malgré mes efforts, beaucoup d’autres ont été plus rapides que moi. A mon arrivée en effet, c’est le ticket N° 199 qui me « souhaita la bienvenue », et au compteur d’appel, c’est le N° 149 qui s’affiche. Comprenez donc par là qu’au niveau de la file d’attente, exactement 50 personnes étaient avant moi. Le circuit est un peu long, puisqu’il faut d’abord passer au secrétariat, ensuite aller à la caisse, et c’est seulement une fois ces deux étapes franchies qu’on vous appelle pour les analyses.

La salle était bondée de monde (des hommes, des femmes, des vieux, des enfants, des bébés, des civils, des militaires, bref, on trouve du tout ici…), et comme toujours dans ces lieux de forte affluence, les places assises étaient insuffisantes. J’étais donc là aux aguets, en train de guetter qu’une place assise se libère. Tantôt un coup d’œil à droite, tantôt un autre à gauche, comme sur un court de tennis… Heureusement, la chance me sourit relativement rapidement, et moi voila donc tranquillement installé. Je sors mon journal, que j’avais pris le soin d’amener avec moi pour me tenir compagnie, et c’est donc parti pour une séance de lecture sans conviction. Je dis bien sans conviction, car dans des ambiances telles que celles d’aujourd’hui, bruyantes à souhait, il est presque impossible d’avoir la concentration requise pour une lecture de qualité. Mais alors, pourquoi s’armer de lecture me diriez vous ? Ben c’est comme ça, il faut quand même essayer, et puis surtout, c’est cela ou compter les mouches, au propre comme au figuré d’ailleurs.

Une vieille femme à coté de moi me tend son ticket, je vois N° 188, et me demande de lui faire savoir quand son tour viendra. Je ne peux alors m’empêcher de penser que c’est bien beau la technologie, mais parfois, on l’implante chez nous sans prendre en compte les réalités sociales. Je me dis en effet que les responsables de l’hôpital auraient été plus avisés d’adjoindre un outil vocal à leur système de gestion de la file d’attente, étant donné la sociologie de leur clientèle (les analphabètes y sont en effet majoritaires).

Un coup d’œil au tableau d’affichage, et je me rends compte que le compteur semble comme bloqué. Voila en effet presque trente minutes que je suis arrivé, et le compteur affiche le numéro 151. A ce rythme, me dis-je, je serais encore là demain soir ! Le peuple de la salle commence d’ailleurs à gronder, puisque tout comme je le fais, tout le monde ici surveille religieusement le décompte. Il a suffit en tout cas qu’une bonne femme prenne son courage à deux mains en manifestant bruyamment son impatience devant la lenteur des opérations, pour que les récriminations fusent en cœur. « Franchement, les gens ne savent pas travailler ici », déclare quelqu’un. « Je ne se serais pas surpris de savoir que le personnel est allé prendre son déjeuner », déclare un autre. Ça grommelle désormais de partout, et la salle est en complète ébullition.

A ce moment, entre dans la salle une jeune fille, qui se fend d’un grand « assalamou aleikum ». Tiens, une qui n’a pas oublié les bonnes manières me dis-je, et à la manière dont la salle lui répond en chœur, j’en arrive à la conclusion que ne suis pas le seul à le penser. Mais comme toujours, c’était trop beau pour être vrai. Ces bonnes manières n’étaient en fait qu’une technique de vente, puisque la jeune fille en question a quelque chose à vendre. Et figurez vous quoi ? De la poudre pour cafard. Oui, vous avez bien lu, de la poudre pour cafard. Cela semble kafkaïen tout cela… Comment en effet espérer vendre de la poudre pour cafard à des personnes venues faire des analyses médicales, et dont certains sont d’ailleurs très mal en point ? La jeune fille reste pourtant impassible, et continue de dérouler son argumentaire. « C’est la même poudre que celle qui est venue en pharmacie. Résultat garanti : jusqu’en 2016, vous n’aurez plus un seul cafard », ajoute-t-elle, imperturbable. Oui, vous avez bien lu. Jusqu’en 2016, et elle prend soin de bien revenir sur cette date. Croirait-elle qu’elle a affaire à des grands malades, tellement malades qu’ils auraient perdu le sens de la réalité ? A coté de moi, une vieille femme ne peut s’empêcher de pester contre la vendeuse. « Franchement, quelle idée de venir parler de cafards à des gens malades ». C’est vrai quand qu’il y a tellement d’endroits où notre VRP aurait pu aller. Alors pourquoi l’hôpital, et pourquoi cette salle d’attentes où les gens ont tellement d’autres soucis ? La vendeuse, pensant certainement mieux convaincre et fourguer ainsi sa marchandise, complète ses propos. « En pharmacie, cette poudre est vendue est à 2 000 F. Moi je la vends à 500 F ». L’argument de trop, sans doute. La pauvre, elle ne se rend pas compte qu’en disant cela, en déclarant une telle différence de prix, elle créée le doute sur la qualité de sa poudre, si tant est bien évidemment (simple hypothèse d’école) que quelqu’un dans cette salle était tenté d’acheter sa poudre anti-cafards. Finalement, la jeune fille finit par comprendre qu’elle ne vendra rien ici, et elle retourne sur ses pas, presque discrètement, et sans prendre donc la peine cette fois ci de dire au-revoir. Apparemment, la symétrie des formes n’est pas son souci.

La file, elle, avance toujours à pas de tortue. Soudain, apparait un monsieur en blouse, et que déclare sur un ton presque militaire : « Les enfants ne font pas la queue. Ceux qui ont des enfant sont priés de se signaler ». Dans la salle, je vois au moins deux femmes et un homme qui sont accompagnés par des enfants, et l’une des femmes déclare qu’elle a pourtant été voir la secrétaire pour se signaler, et que le secrétaire lui aurait dit de faire la queue comme tout le monde. « Il faut insister », ajoute notre bonhomme. Comment ça, insister ? Soit c’est une règle, et dans ce cas, il n’y a pas à « négocier », soit c’en est pas une, et dans ce cas, il n’y a pas de raison qu’elle soit appliquée. Mais cela le Sénégal : un pays où les repères bougent sans cesse, un territoire où les règles sont à géométrie variable, un coin du monde ou tout un chacun peut se faire législateur. Allez savoir, peut être est ce tout cela qui fait le charme du Sénégal… Finalement, les gamins sont extraits de la queue, et tant mieux pour eux certainement. Mais cela n’a pas fait que des heureux, et certains grommèlent. Une vieille femme profite de l’occasion pour prêcher la paroisse du troisième âge. « Il faudrait que cette règle soit étendue aux vieux et aux vieilles ». Peut être, mais elle ne se rend pas compte qu’avec au moins 50% des personnes dans la salle qui sont des personnes du 3e âge, un tel élargissement de la règle poserait de sérieux problèmes. Mais bon, faudrait peut être pas lui intenter un faux procès : elle discutait seulement du principe, l’opérationnalisation n’est pas son souci. Mais revenons-en aux parents accompagnés des enfants. Tous, comme s’ils s’étaient concertés, décident « d’offrir » leurs tickets à d’autres personnes, non pas avec discrétion, mais au vu et au su de tout le monde. Au Sénégal, on ne sait en effet pas offrir en silence. Mais ce sur quoi je voudrais surtout insister, c’est qu’une telle « générosité » fait peu cas du souci d’équité. Pourquoi en effet « offrir son ticket », plutôt que de laisser la file suivre normalement son cours ? Pourquoi permettre à quelqu’un venu bien après de passer avant celui là qui est arrivé bien avant ce dernier ? Le sénégalais croit toujours que s’il n’utilise pas son ticket d’attente, celui-ci est perdu… A chaque fois qu’il fait la queue quelque part, et qu’il doive par exemple partir avant l’heure, il se croit obligé de donner son ticket à quelqu’un, sans se soucier nullement que ce faisant, il crée des distorsions.

Voila maintenant près de deux heures que je suis dans cette salle, et c’est toujours loin d’être mon tour. Et le drame pour moi, c’est qu’il y a longtemps que j’ai fini la lecture de mon journal. Cette fois, j’ai manqué de vision, et j’aurais été mieux inspiré si j’avais pris avec moi des dizaines de journaux. Je suis tenté à un moment de relire le journal, mais j’y renonce vite pour ne pas m’infliger une double peine. A un moment donné, je suis tenté de partir et de revenir un autre jour. Mais la raison finit par l’emporter, et je me dis que j’ai trop attendu pour finalement renoncer. Allez, accroches toi, me dis-je. Le bout du tunnel viendra, tôt ou tard.

A ce moment de mes réflexions, entre dans la salle un monsieur avec des béquilles, qui marche avec difficultés, en gémissant presque, et qui vient s’asseoir pas loin de moi. Il sort de sa poche plein de papiers, puis une page de journal pliée en quatre. Il me tend une liasse de petits papiers cartonnés et me demande de faire passer autour de moi. Je m’exécute, puis lis ce qui est écrit dans le papier qui m’est resté entre les doigts. « J’ai subi un accident de voiture très grave et je dois aller me faire opérer en France. Je sollicite votre aide, car je dispose de moyens limités. Etc. ». Une vieille dame à coté de moi me demande : « C’est quoi ce papier ? C’est pour quoi ? ». Visiblement, elle ne sait pas lire, et je me dis qu’elle ne doit pas être la seule dans cette situation au sein de la salle. Encore une de ces « technologies importées » et qui ne sont guère adaptées à notre contexte social, me dis-je. En France, dans le métro notamment, c’est en effet ainsi que procèdent certaines personnes qui font la manche. Mais dans un pays comme le Sénégal, caractérisé par un fort taux d’analphabétisme, l’écrit n’est sans doute pas le procédé le plus approprié. Comme s’il avait lu dans mes pensées, le monsieur se décide à prendre la parole, pour redire à très haute voix tout ce qu’il avait consigné dans ses petits papiers. Puis il tend le journal, et dit avec une fierté non feinte : « C’est moi, ici. J’avais fait une annonce dans le journal ». A la vue du journal, des murmures se font entendre, et en particulier, fusent de partout des « ndeysanne, ndeysanne », comme si la parution dans le journal était la preuve ultime de la bonne foi du monsieur. Une première dame se leva pour remettre dans les mains du monsieur quelques pièces, et comme toujours dans ces occasions-là, il suffit qu’une seule personne décide de donner pour que beaucoup d’autres se décident à en faire de même. Le monsieur se lève, tout sourire, se confond en remerciements, et sans doute continue ailleurs sa tournée. Que son histoire soit réelle ou pas, c’est quand même triste, me dis-je, que de devoir compter sur la charité ou sur la générosité des gens pour vivre. Le Sénégal constitue peut-être une seule même pirogue, mais il n’en demeure pas moins un pays à deux vitesses.

Quelques instants plus tard, entre une jeune femme, qui se met par la suite au milieu de place. Elle se tient debout pendant un instant, puis commence à interpeller l’assistance : « Je dois subir une opération à l’œil, et je n’ai pas de quoi payer. J’implore votre aide ». Silence dans la salle, et pas même un murmure. Elle réitère ses propos, et toujours aucune réaction. Alors, elle prend le taureau à deux cornes, met le doigt à l’œil afin de bien écarter les paupières, et déclare : « Regardez bien mes yeux, et vous verrez bien que je ne raconte pas des histoires ». Apparemment, personne dans la salle ne semble décidé à lui venir en aide. Peut être l’effet de saturation… Elle ne le sait pas, mais son entrée dans cette salle est intervenue à peine quelque minutes après le départ du monsieur avec les béquilles. C’est cela aussi l’un des travers du sénégalais : à force de côtoyer les drames, il arrive un moment ou il perd toute sensibilité ; à force d’être sollicité, il arrive un moment où le doute s’installe et où le cœur durcit comme une pierre… Dans le visage de la jeune femme, s’affiche une grande déception. Dans un grand silence, elle retourne sur ses pas, et sort de la salle.

Enfin, après une attente interminable dont il m’est impossible de compter toutes les péripéties, vient mon tour. Arrivé devant la secrétaire, je lui lance un « bonjour, madame ». Pas de réponse de sa part, pas même un regard. Elle a les yeux rivés sur son écran d’ordinateur, et à un moment donné, je ne suis pas loin de penser que je me suis peut être trompé de guichet. Je vérifie, et c’est pourtant bien le Guichet 5 auquel j’ai été appelé. Alors, je prends mon mal en patience, comme sil faut savoir le faire en de pareilles circonstances. Soudain, la dame en face de moi me tend la main, et je comprends qu’elle attend que je lui remette mes papiers. Je m’exécute, et lui tend alors l’ordonnance du médecin, accompagnée de la prise en charge signée par mon employeur. Elle regarde, et me lance : « la prise en charge doit être fournie en deux exemplaires, l’original et une photocopie ». Pourtant, je n’ai vu nulle part dans la salle et encore moins en face de la vitrine derrière laquelle se trouve la secrétaire, quelque part où cela est écrit. Comment aurais-je donc pu le deviner ? Pourtant, pendant tout le temps que j’ai attendu, j’avais largement le temps d’aller faire une photocopie. Je m’attendais vraiment à tout, sauf à ça, et à cet instant précis, ma seule préoccupation est de savoir comment faire. Elle n’attend pas que je pose la question (eh oui, à force, elle devine les questions !), et me dit : « Vous pouvez aller faire une photocopie, il y a une boutique derrière la maternité ». Heureusement pour moi, elle ajoute : « Quand vous aurez fait la photocopie, il ne se sera pas nécessaire de refaire la queue. Revenez me voir ». Ouf, je l’ai échappé belle. S’il fallait refaire la queue, je ne serais certainement pas revenu !

La photocopie faite, je reviens vers la secrétaire, et bien entendu, comme c’est toujours le cas dans ces occasions, elle me fera attendre encore très longtemps, comme si elle tenait à me faire comprendre que c’est elle qui décide ici. Finalement, elle prend mon dossier, et après avoir fini le traitement, elle me demande d’aller à la caisse, deux guichets plus loin, pour récupérer ma facture. Arrivé devant la caisse, je vois une chaise vide, et bien loin derrière, un monsieur confortablement assis, en train de feuilleter son journal, et devant un bureau désespérément vide. Ah, si les sénégalais consacraient au traitement de leurs dossiers la même concentration qu’à la lecture des journaux… Et pour ma part, devant de tels bureaux désespérément vides, je me demande toujours si cela reflète une maîtrise extraordinairement élevée de la science du rangement, ou si plutôt, cela témoigne de journées de travail tout aussi désespérément vides. Bien malin qui pourra me répondre. Après près de 10 minutes devant la caisse, le monsieur daigne enfin lever les yeux de son journal, et me dire : « Attendez, la caissière est allé chercher du papier. Il n’y en a plus pour son imprimante ». Au fond de moi, je ne peux alors m’empêcher de penser qu’il y a là une illustration parfaite de l’absence d’esprit d’anticipation ou d’organisation dans notre pays. Peut être suis-je excessivement sévère, mais au fond, j’ai des circonstances atténuantes : à force d’attendre en effet, tout me devient insupportable.

Encore environ 10 minutes d’attentes, et enfin vient la caissière, une rame de papier à la main. J’ai échappé au pire : que se serait-il passé en effet si elle était revenue les mains vides ? Je n’ose même pas l’imaginer. Elle imprime ma facture, me la remet, et je dois aller maintenant à un dernier guichet, qui me met enfin en rapport avec les agents de santé chargé des analyses médicales. Enfin, une dame me demande de la suivre dans un box, et elle me fait une prise de sang. Je ne sais pas si cela est du à la force de l’habitude, mais pendant toute l’opération, la dame discute avec un monsieur qui est à l’entrée de la cabine, et tout y passe : la famille, le Magal de Tivaoune, et j’en oublie… J’ai envie de leur dire : « Ne vous gênez surtout pas, faites comme si j’étais pas là ». Mais je me retiens, et me contente de les écouter, stoïquement.

Voila, tout est fini maintenant. La prise de sang vient de se terminer, et la dame me demande repasser dans une semaine pour prendre les résultats. Je regarde l’heure, et cela fait maintenant près de quatre heures que je suis entré dans cette salle. Journée longue, penseront certains, journée perdue, diront d’autres. Mais non, juste une demi-journée (presque) ordinaire dans une administration publique sénégalaise. Et dire qu’ailleurs, tout cela se fait en un temps record. Cherchez l’erreur.

dimanche 19 décembre 2010

RIEN TOUS LES SOIRS...

Le FESMAN (Festival Mondial des Arts Nègres), pour ou contre ? Actuellement, c’est le débat national au Sénégal. Adversaires et partisans de la manifestation s’affrontent à coup d’arguments, mais parfois aussi (c’est cela le Sénégal d’aujourd’hui…) à coups d’insultes.

Pour ma part, ce n’est pas sur ce débat que je souhaiterais me prononcer, mais sur le traitement que les médias sénégalais, et particulièrement les télévisions, accordent à l’événement. A regarder en effet les différentes télévisions sénégalaises, et tout particulièrement la RTS (la télévision nationale), on croirait en effet que le FESMAN se résume à des concerts, puisqu’il n’y en a que pour la musique et la danse. Sur tout le reste, c’est le black out total, et pourtant, il se passe des choses intéressantes, entre les tables rondes, les cafés littéraires, les représentations théâtrales, les expositions d’œuvre d’art et j’en oublie. Sur les plateaux télés, lors de retransmissions en direct, on ne voit cependant que des chanteurs et des danseurs, et nul intellectuel, écrivain, acteur, artiste-plasticien, etc. Assurément, nos vieux démons ne cessent de nous poursuivre au Sénégal, et même lorsqu’il s’agit de célébrer la “renaissance africaine”, nous accordons une place surdimensionnée à ce qui divertit, au point d’oublier l’essentiel... Jamais certainement dans l’histoire contemporaine de notre continent, autant d’intellectuels et d’hommes de culture n’ont été réunis en même temps dans un seul pays, et nos médias, particulièrement nos radios et nos télévisions ont donc perdu ici une occasion extraordinaire de proposer une grille de programmes qui soit à la hauteur des défis qui se posent à nos pays. Combien d’heures de programmes utiles et éducatifs auraient pu être obtenus tout simplement à partir de la retransmission (en direct ou en différé, peu importe…) des espaces dédiés aux débats et à la réflexion ? Combien de plateaux télés ou de reportages auraient pu être organisés avec tous ces intellectuels et ces hommes de culture présentement dans notre pays ?

La RTS, eu égard à sa mission de service public, se devait d’ouvrir entièrement sa grille au FESMAN ; elle le fait pour des événements aussi mineurs (eu égard à nos priorités nationales) que la Coupe du Monde ou les Jeux Olympiques, alors pourquoi pas pour le FESMAN ? Aujourd’hui, plus que jamais, la RTS mérite la “devise” que lui colle bien des sénégalais : Rien Tous les Soirs… D’autres chaines, telles que 2STV ou TFM, qui se définissent comme étant des “télévisions culturelles” n’aurait pas dû être en reste, et elles auraient également dû déployer les grands moyens, comme elles savent si bien le faire lors des grands (et mêmes des petits…) combats de lutte.

Dans le Sénégal d’aujourd’hui, les références suprêmes (auxquelles s’identifient l’écrasante majorité de la jeunesse, et même de la population…) s’appellent Youssou Ndour, El Hadj Diouf, Modou Lo, bref que des chanteurs et des sportifs ! Assurément, cela est dramatique… Loin de moi bien entendu l’idée de m’en prendre aux personnes sus nommées, mais c’est seulement qu’on doit à la vérité reconnaitre que le développement de notre pays passe par la promotion d’autres références, autrement plus utiles. Le FESMAN, s’il avait bénéficié d’une couverture médiatique à la hauteur de l’événement et des enjeux, aurait peut être pu permettre de contribuer à rééquilibrer un peu la balance. Assurément, c’est une occasion de plus (et décisive par dessus tout…) qui vient d’être gâchée à jamais. Et nous allons certainement continuer, autant pour la suite du FESMAN que pour les années à venir, à chanter et à danser…

mardi 16 novembre 2010

PAIX À SON ÂME

Triste nouvelle que celle que je viens d'apprendre il y a de cela quelques heures : deux petites filles fauchées à Khombole, l'une décédée (quelques heures après) et l'autre actuellement dans une situation critique. Banal accident de circulation, comme il en arrive tous les jours, me diriez vous... Non, loin de là, la voiture à l'origine du drame appartenait à un cortège ministèriel. Pour moi, là réside le scandale, et peu m'importe le ministre, puisque je ne voudrais pas verser dans un débat politicien. Et les questions que je voudrais poser sont alors les suivantes : à quelle vitesse roulait le cortège lorsqu'il traversait l'agglomération où a eu lieu le drame ? la procédure prévue dans le cas d'espèce (la garde à vue pour 24h au moins du conducteur du véhicule, son audition par le procureur de la république pour la détermination de la suite à donner à l'affaire, etc.) a t-elle été respectée ?
Il suffit de fréquenter un tant soi peu les routes dakaroises et les grands axes routiers nationaux pour constater non seulement l'inflation galopante des "cortèges" (comme si le pays n'était constitué que d'officiels et de personnes de "hauts rangs", comme ci pour ces derniers il était infamant de faire comme tout le monde et de souffrir des embouteillages, comme si leur temps était plus précieux de celui de nous autres "petits" sénégalais...), mais aussi (et plus scandaleusement) les passe-droit et les abus de toutes sortes dont ils s'arrogent le droit (comme si le code de la route n'était fait que pour les "sénégalais d'en bas", comme si nous étions dans un régime de privilèges...). Tout y passe : excès de vitesse, non respect du code de la route, blocage de la circulation, et j'en oublie...
Un ministre qui habite pas loin de chez moi (et pas n'importe lequel, eu égard à son rang protocolaire et à ses domaines de compétence), emprunte régulièrement (bien calfeutré dans sa voiture officielle et flanqué de son garde du corps à l'avant... ) un "raccourci" qui correspond à une violation flagrante du code de la route et cela juste pour éviter un détour d'à peine 100 mètres. C'est cela le Sénégal d'aujourd'hui, et une telle voie est pleine d'inquiétude pour l'avenir de notre pays. Qui a volé un oeuf, volera un boeuf, nous dit l'adage. Alors ne soyons pas étonnés si un jour, on apprend qu'un cortège ministériel a fauché deux petites innocentes petites filles (et tuant même l'une d'entre elles), dont le seul tort est peut être d'avoir ignoré que le temps d'un ministre est tellement précieux que tout (avec un grand T) est permis à son cortège...
En attendant, à chacun sa conscience...

mardi 25 août 2009

PBS, 20 ANS DEJA ?

PBS, 20 ans déjà ? C’est fou ce que le temps passe vite. Vingt ans, dans la vie d’un homme, ça compte énormément. Moi-même, j’ai du mal à réaliser que cela remonte à 20 ans, ce jour où, jeune collégien, je découvrais (lors des matinées hip hop organisées à Sorano) un groupe composé de deux MC’s, qui m’avaient énormément impressionnés par leur flow et leur grande maîtrise de l’anglais. Je ne connaissais encore rien de ce groupe, et étais loin de m’imaginer qu’une saga était en train de naître, qui conduirait le groupe en question à écrire l’une des plus belle pages de la musique sénégalaise (oui, il ne s’agit pas que de rap !). Je me souviens encore de ce dimanche d’été (1992 je crois) où pour la première fois, j’ai écouté à la radio la première production discographique du PBS, le son « bagn bagn », où étaient déclamées ces fameuses rimes désormais gravées à jamais dans le livre d’or du hip hop sénégalais « gnoun dou gnou PS, gnoun dou gnou PDS, gnoun gnoy PBS… ». A vrai dire, c’est presque à la fin du son que je découvris (avec sans doute la même émotion que Christophe Colomb, foulant la terre d’Amérique…) que les rimes déclamées l’étaient en wolof. Oui, je l’avoue, pour moi, c’était un groupe de rap américain qui passait à la radio, et les textes, bien sur, étaient en anglais. Oh que non ! C’était du PBS. Pour moi, c’était le début d’un long compagnonnage musical et affectif avec le PBS.
Comment oublier ce soir (de 1993 je crois) où j’ai écouté pour la première fois l’album « Boul Fale » ? J’avais atterri à Toulouse, pour y mener mes études universitaires, et cet album m’avait été rapporté par un ami qui revenait du Sénégal. Ce soir là, je l’avoue, je n’ai pas dormi : l’album passait en effet en boucle, sans que je ne m’en lasse. Et cela ne s’est pas arrêté à cela. Cet album, désormais, était mon plus fidèle compagnon, et je ne m’en séparais jamais. Mes amis toulousains de l’époque peuvent en témoigner, et d’ailleurs eux mêmes « souffraient le martyre », si je puis dire : en effet, tyrannique que j’étais, partout où j’allais, je cherchais à faire écouter, à imposer même, l’album du PBS (pardon à tous !). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’album remix « Boul Fale bou bès » (sorti en 1994) m’empêcha à nouveau de dormir et devint lui aussi mon plus fidèle compagnon. Il me permit aussi de découvrir deux nouveaux groupes très promoteurs : Daara J (ah, quelle voix, déjà, ce Faada !) et Pee Froiss.
Je me souviens également de cet après midi de 1995 où, ayant appris la sortie du premier album international du PBS, « Salam », je courus à la FNAC pour me le procurer. « Def lo xam, wokh lo kham, bo teuddé nelaw, nelaw… ». Ce soir, je n’ai toutefois pas pu dormir, pour des raisons qu’il n’est pas difficile de devenir ! Puis ce fut la grande campagne de promo de l’album (pour mon plus grand plaisir du reste…) dans laquelle je m’investis personnellement : auprès de mes amis, des quelques rappeurs toulousains que je connaissais, émission à la radio campus, etc. Cerise sur la gâteau : PBS allait passer à Toulouse dans le cadre de sa tournée française ! Ce fut un moment de joie et un espace de communion inoubliables, surtout qu’en ce qui me concerne, j’avais été sevré pendant toutes ces années d’un concert du PBS. A la fin du concert, je me suis faufilé dans les coulisses, jusqu’à tomber en face des deux MC’s du PBS. Mais c’est connu, dans ces circonstances, un fan (oui, je l’étais) reste tétanisé ! Je n’ai donc rien pu leur dire…
La suite fut comme un long fleuve tranquille : la même joie et le même prosélytisme (d’autres auraient sans doute parlé de fanatisme…) à chaque sortie d’un nouvel album du PBS, la même disponibilité à aller assister (presque) partout en France aux concerts du PBS, etc.
Parmi les dernières productions du PBS, c’est certainement l’album « New-York, Paris, Dakar » (1997) qui m’aura le plus marqué. Incontestablement, c’est avec cet album que le PBS était au sommet de son art, tant par rapport aux flows ou aux textes que du point de vue musical. Aujourd’hui encore, je suis convaincu que si des questions contractuelles n’avaient pas retardé la sortie internationale de cet album (qui est intervenue seulement en 2002, soit donc près de 5 ans après son enregistrement), un succès planétaire aurait pu être atteint.
Apres avoir dit tout cela, on comprendra donc que je ne pouvais pas ne pas être présent au concert des retrouvailles du PBS. Pour avoir fait partie en effet de cette génération qui a été profondément marquée par les deux acolytes, je ne pouvais en effet que regretter (dans un premier temps) l’éclatement du PBS, puis (dans un second temps) me réjouir de la « réunification » des deux monstres sacrés du rap sénégalais. Alors, j’y suis allé, sans hésitation aucune (la seule précaution prise ayant été toutefois de demander à mon épouse … « un avis de non objection » !)
Il n’y a aucun doute, ce fut le plus grand concert de hip hop au Sénégal auquel il m’a été donné l’occasion de prendre part, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la composition du public. Jamais en effet un concert de hip hop au Sénégal n’a réuni tant de gens, appartenant de surcroit à des générations différentes. Moi-même, j’y suis allé avec un petit frère, qui n’était pas né lors de la création du PBS, mais qui (quelle surprise et quelle découverte ce fut pour moi !), connaissait parfaitement quelques textes des vieilles chansons du PBS.
Ensuite, la participation remarquable de la grande famille du hip hop sénégalais, tant les pionniers (Matador, Yat Fu, Nix, Da Brains, etc.) que la génération intermédiaire (Fata, Amenophis, Simon, Sen Kumpe, etc.) ou la nouvelle garde (Canabasse).
Enfin dans les moyens mobilisés, et surtout les petits plus qui ont agrémenté le concert (écrans géants dispersés partout dans la salle, projection d’un mini film avant l’entrée en scène du PBS, etc.).
Tant pis si le concert a connu du retard dans le démarrage (moi-même, j’ai dû quitter le concert vers minuit, n’ayant plus l’habitude de ces concerts marathons !)… Tant pis également si la salle n’était pas la plus indiquée du point de vue de la qualité du son (on avait en effet du mal à bien percevoir les voix, qui étaient « bouffées », et presque imperceptibles !)… Tant pis si quelques groupes ont manqué à l’appel (je pense surtout à Daara J et à Pee Froiss)… La perfection n’étant pas de ce monde, il manquera toujours des choses.
Aujourd’hui encore, je suis content et heureux d’avoir pris part à ce concert, qui m’a, moi aussi, rajeuni de 20 ans ! Merci Awadi, merci Doug E Tee (je sais, aujourd’hui, c’est Duggy T, mais puisqu’on parle du PBS, va pour Doug E Tee !), pour tous ces moment de joie que vous avez procuré à ceux et celles de ma génération au cours de ces vingt dernières années. Vous n’auriez pas existé, on vous aurait inventé ! Salam…

dimanche 10 mai 2009

LE SENEGAL DES DEBATS INUTILES...

Drôle de pays que notre (cher) Sénégal ! Des événements, insignifiants ailleurs, prennent chez nous des proportions inquiétantes, tandis que d’autres, qui ailleurs seraient au centre du débat, chez nous font l’objet d’un traitement quasi-confidentiel. A croire que dans le Sénégal d’aujourd’hui, il y a pénurie du sens de la mesure…
Qu’est ce qui a donc « buggué » chez bien de mes compatriotes pour qu’ils prennent un malin plaisir à épiloguer à longueur de journées (et même de semaines !) sur des questions quasiment sans enjeux, aussi ennuyeuses que pourrait l’être un débat sur le sexe des anges ?
Pourtant, tel n’a pas toujours été le cas. Il fut en effet un temps, pas lointain d’ailleurs, où les débats publics étaient de haute facture. A croire d’ailleurs que le processus de « démocratisation », en ouvrant toutes les vannes et en permettant à toutes les opinions d’être exprimées, d’où qu’elles puissent venir, a conduit à un nivellement par le bas du débat public. A l’époque par exemple où la presse sénégalaise se limitait à quelques journaux, pour la plupart des hebdomadaires (notamment Walfadjiri, Sud-Hebdo, Cafard Libéré, Politicien), la qualité était incontestablement de mise, tant dans le choix des sujets que dans les standards du point de vue du traitement de l’information. Nous avions à l’époque de vrais journaux, animés par de vrais journalistes, dotés d’une solide formation, très au fait des exigences éthiques et déontologiques de leur métier, et qui, pour toutes les raisons tantôt évoquées, traitaient de vraies questions et refusaient de verser abusivement dans le sensationnel. Qu’en est-il aujourd’hui ? La vérité commande de dire que si la presse sénégalaise s’est fortement diversifiée, elle ne s’est pas bonifiée, alors là pas du tout. A propos de ce que nous dénoncions tantôt, la multiplication des débats inutiles, la responsabilité des médias, incontestablement, est indiscutable. Pour la presse sénégalaise, quasiment toutes catégories confondues, il n’y a désormais que la quête du sensationnel qui compte, au point que l’information (la vraie, la juste) et l’analyse (la pertinente, l’objective) en sont réduites à des portions congrues. En cela, la presse sénégalaise est devenue une formidable machine à colporter les rumeurs, en même temps qu’elle oriente le débat public dans des voies sans avenir et donc sans grand intérêt. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de la presse ou de mettre tous les journalistes dans le même sac, mais seulement de reconnaître l’influence parfois néfaste d’une certaine presse qui, malheureusement, tend à se généraliser dans la profession. Ce mouvement de nivellement par le bas de la presse sénégalaise prend des formes multiples : « unes » aguicheuses (et très souvent sans grand rapport avec les contenus des papiers), multiplication des « offs » (le lieu par excellence où les rumeurs et les informations non vérifiées sont véhiculées), prépondérance des sujets politiques (comme si le Sénégal était en perpétuelle campagne électorale, comme si également seule la « politique » était digne d’intérêt), etc. A la décharge de la presse sénégalaise, on pourrait néanmoins faire observer que peut être, la presse ne fait que servir au peuple ce que ce dernier désire. Mais ne rentrons pas dans ce débat, qui reviendrait à déterminer qui de l’œuf ou de la poule vient l’un avant l’autre.
Le constat, dans tous les cas, est implacable et ne souffre d’aucune contestation possible : soit ce sont des questions sans intérêt qui peuplent le débat public, soit ce sont les mêmes questions qui reviennent sans cesse, au point qu’elles deviennent ennuyeuses.
Karim par ci, Karim par là, à croire qu’il aurait le don d’ubiquité. Certes aucune hésitation n’est permise à ce propos : une dévolution monarchique du pouvoir serait inacceptable dans cette République qu’est le Sénégal. Mais à trop parler de Karim, ne participe-t-on pas à « crédibiliser » ce dernier aux yeux de l’opinion, et donc à le rendre présidentiable ?
Remaniement par ci, remaniement par là, avec un suspense et des rebondissements dignes des plus grandes séries américaines, et tout cela comme si l’avenir du Sénégal se jouait dans ces remaniements, malgré les enseignements de l’histoire (combien de remaniements en effet depuis 2000, et pour quels résultats ?).
Abdoulaye Wade par ci, Idrissa Seck ou Macky Sall par là, comme si tout le jeu politique au Sénégal se réduisait à des querelles crypto-personnelles.
Et j’en oublie... Assurément, le Sénégal mérite mieux que tout cela !

samedi 3 janvier 2009

2008 ET 2009 : ANNEES DE CRISE ?

L’année qui vient de prendre fin, assurément, a été riche d’évènements sur le plan économique, tant au niveau national qu’international. Mais au delà des péripéties constatées ici et là, 2008 peut se résumer en un seul mot : crise. En effet, autant au Sénégal qu’à l’échelle mondiale, la vie économique a été rythmée par une multitude de crises, dont les effets se sont fait sentir à tous les niveaux. Puisque « à tout seigneur, tout honneur », commençons par la crise financière, qu’on a eu du mal à voir venir, mais dont les conséquences, elles, n’ont pas tardées à se faire sentir. Comme illustration de la surprise avec laquelle s’est installée la crise, on peut rappeler que le 12 mars 2008, soit deux jours à peine avant que la Banque Bear Stearns n’annonce un plan de financement d'urgence par la Réserve fédérale lui évitant la faillite, son président, Alan Schwartz, tenait cette affirmation péremptoire : « nous ne constatons aucune pression sur nos liquidités et encore moins une crise de liquidités ». Pour ce qui est maintenant des conséquences de cette crise, les économistes sont aujourd’hui encore en pleine spéculation, et nul ne peut dire de façon certaine ce qu’elles seront. Mais il est néanmoins un fait qui est incontestable, et sur lequel tout le monde s’accorde : cette crise financière a porté un sérieux coup à la conception libérale de l’économie, jusqu’ici dominante. Même les grands manitous de l’économie du marché n’y sont pas été par la petite cuiller. Ainsi, Alan Greenspan, ex président de la Fed, a affirmé ce qui suit : « j'ai trouvé une faille dans l'idéologie capitaliste. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais cela m'a plongé dans un grand désarroi ». Quant à Warren Buffet, probablement l'investisseur privé le plus connu et admiré de la planète, il recourt à une comparaison imagée qui en dit long sur son désarroi : « Le patient allongé sur le sol avec un arrêt cardiaque n'est pas Wall Street, c'est l'économie américaine ». Dans les économies des pays du Nord, ce sont près de 5 000 milliards de $ qui ont été déboursés par les pouvoirs publics, dans le but, soi-disant, de contrer les effets de la crise. Ce chiffre, assurément, donne le vertige, et donne une idée de l’ampleur des dégâts. «Heureusement», et compte tenu de sa faible intégration à la mondialisation économique et financière, l’Afrique est à ce jour le continent le moins touché par la crise financière. Faut-il pour autant croire, comme l’affirme Abdoulaye Wade, que notre continent sera épargné ? Rien n’est moins sur, et à moyen et long termes, l’impact de la crise en Afrique pourrait s’avérer sensiblement plus important, et se manifester de différentes façons : baisse des investissements (du fait de la crise de liquidité bancaire et du resserrement des conditions de crédit), crise de financement dans les filiales des banques étrangères, baisse de l’aide publique au développement (compte tenu des restrictions budgétaires dans les principaux pays avancés), baisse des prix des matières premières, baisse des transferts d’argent des africains de la diaspora vers le continent. Pour toutes ces raisons, si la crise perdure, l’année 2009 et les autres années à venir pourraient être encore beaucoup plus difficiles pour les pays africains. Pour le Sénégal, l’impact pourrait même être plus important que ce qu’il serait pour la plupart des autres pays africains, étant donné le caractère plus « extraverti » de notre économie. Par exemple, selon les statistiques de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, nous bénéficions d’une assistance publique annuelle de près de 200 $ par habitant, alors que la moyenne continentale n’est que de 25 $ ! De même, étant un pays d’immigration « historique », le Sénégal fait partie des pays africains bénéficiant le plus des envois de la diaspora : annuellement, ce sont en effet près de 500 milliards de F CFA (soit l’équivalent de 12% du PIB national) que les immigrés sénégalais envoient à leurs familles restées au pays (il s’agit donc ici d’une véritable manne financière). Mais quoiqu’il en soit, au delà des seuls effets de la crise financière, il y a lieu de s’inquiéter de la situation économique du Sénégal pour l’année 2009. Il ne s’agit évidemment pas de verser dans le catastrophisme, mais de constater tout simplement qu’un certain nombre de facteurs pèsent sur la bonne santé de l’économie sénégalaise et sur sa croissance. Paradoxalement d’ailleurs, l’Etat est ici au centre des interrogations, alors même que sa fonction première, au fond, est d’être un « réducteur d’incertitude ». La sonnette d’alarme a été tirée la première fois par une voix autorisée, celle du représentant-résident du FMI, dont on ne peut douter qu’il n’ait pas été à la bonne source. Tout récemment, la presse a fait cas des télégrammes confidentiels de l’ambassadeur de France, dont le « supposé » contenu reste d’actualité en dépit des démentis de part et d’autre. Les entreprises, à travers leurs organisations patronales, se sont elles aussi publiquement prononcées, en mettant en garde sur les risques d’asphyxie que le niveau de la dette intérieure fait peser sur l’économie sénégalaise. Certes, l’Etat s’est engagé à résorber cette dette au plus tard le 31 janvier 2009 (mais ici, encore la question du montant de cette dette est l’objet de polémique : 174 milliards selon le chef de l’Etat, mais plus de 300 milliards affirme le patronat !), mais le procédé mis en place n’est pas des plus rassurants, puisqu’il s’agit de brader les bijoux de famille (vente des actions SONATEL, « pillage » de l’IPRES, vente du Méridien, etc.) et de s’endetter (auprès d’autres – France, FMI… – par rapport auxquels l’Etat est déjà fortement endetté, puiqu’en dépit de l’Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale, l’encours de la dette publique extérieure du Sénégal était estimé à 860,02 milliards F CFA au 31 décembre 2007). Ajouter à cela les nombreux chantiers sur lesquels l’Etat est engagé (avec parfois des montants astronomiques, et sans qu’on sache toujours avec précision le niveau de la contribution effective – sous toutes ses formes – de l’Etat : aéroport de Ndiass, autoroute Dakar-Diamniadio, etc.), le train de vie dépensier et même fastueux de l’Etat (qui ne semble pas préoccuper outre mesure ceux qui nous gouvernent, puisqu’aucun plan de réduction de ce train de vie n’a été annoncé), la forte demande sociale (qui, pour être contenue et ne pas conduire à l’explosion, exigera certainement une implication financière forte de l’Etat), et on s’apercevra que tous les ingrédients sont réunis pour un avenir économique difficile, incertain même. Bien évidemment, il convient de ne pas ignorer que d’autres facteurs influenceront dans le sens inverse. Par exemple, la baisse du prix de pétrole (45 $ le baril aujourd’hui, après avoir atteint un pic historique de près de 150 $ il y a de cela à peine quelques semaines), si elle se maintient, ne manquera pas de constituer une bouffée d’oxygène (pour les consommateurs, les effets se font déjà sentir à la pompe, puisque de baisses significatives ont été enregistrées, par exemple de près de 100 F sur le litre de super). De même, la relance des ICS, si elle était confirmée, ne manquera pas d’avoir un effet bénéfique sur l’économie sénégalaise, et ce à différents niveaux. Mais malgré tout, il demeure que pour 2009, les signes alarmants sont plus nombreux que ceux qui rassurent. Pour ce qui de la question tout particulièrement de l’électricité, deux remarques méritent d’être faites. Premièrement, on a ici une illustration symptomatique de la radicalisation du front social qui, désormais, guette le Sénégal (puisque même les imams sont en première ligne) et de ses répercussions sur le plan économique. L’argument avancé par l’Etat, pour justifier de la hausse « officielle » de 17% du coût de l’électricité (mais de près de 50% en réalité, disent en chœur les associations consuméristes et les organisations patronales), était d’appliquer la vérité des prix, afin de résorber un manque à gagner de la Senelec estimé à 65 milliards de F CFA par an. Quelle que soit la décision finale qui sera prise à ce propos, elle sera affectée d’un coût, qui devra nécessairement être supportée par quelqu’un (l’Etat, la Senelec, les consommateurs). Deuxièmement, à bien des égards, le traitement médiatique fait de cette question montre que si les sénégalais sont égaux à la naissance, ils ne le sont plus devant la hausse des prix. Faut-il en effet le rappeler, le taux d’électrification rurale atteint encore à peine 10% au Sénégal, ce qui signifie que près de 5 millions de sénégalais n’ont pas encore accès à l’électricité, et évidemment, pour ces derniers, la question de la hausse des tarifs de la Senelec est tout simplement sans enjeux, contrairement à celle des denrées de première nécessité qui, toute chose égales par ailleurs, les affecte plus durement. Mais c’est connu, les médias sont en ville, et ce sont les combats ou les revendications des citadins qu’ils couvrent le plus. Pour en revenir à l’Etat du Sénégal, ce qui peut lui être reproché, et sans verser dans la querelle politicienne, c’est de donner parfois l’impression, confirmée tout au long de l’année 2008, d’un pilotage à vue, et d’une absence de politique économique clairement définie, et clairement perçue comme tel. En dépit de l’inflation des déclarations de bonne intention, des lettres sectorielles, des documents de cadrage, il manque ici un fil conducteur de l’ensemble, visible dans la durée dans les actes posés par le gouvernement. De ce point de vue, la réaction du gouvernement suite à la crise de la dette intérieure en est une parfaite illustration. Comme l’a rappelé en effet fort justement une organisation patronale, l’engagement de régler la dette publique intérieure ne constitue pas une déclaration de politique économique, mais bien plutôt un acte courant de gestion, qui relève de l’ordre normal des choses. Ce qu’il faudrait, c’est une politique d’ensemble et cohérente, qui prenne en compte la complexité et la dynamique qui sont celles de la vie économique, plutôt que des déclarations de bonne intention sans lendemain, ou encore des projets ficelés à la va-vite et sur lesquels on ne sait rien quant à leur durabilité. De ce point de vue, la GOANA en est une parfaite illustration. Sur le bien fondé de l’option consistant à accorder une plus grande attention à l’agriculture, personne ne trouvera certainement rien à dire. Mais est-ce la meilleure stratégie qui a été déroulée ? Je n’en suis pas sur, d’une part parce qu’il n’y a pas eu ici d’étapes intermédiaires (comme si tout était parti d’une révélation !), et d’autre part, parce que l’accent a été mis seulement sur la production, sans prendre en compte d’autres aspects pourtant fondamentaux : retombées pour les « paysans authentiques » (ceux là mêmes qui n’ont pas attendu l’appel de Wade pour s’intéresser à l’agriculture, ce qui n’est pas le cas de tous ces ministres, députés et sénateurs dont les fermes, sans qu’on sache pourquoi, ont été exhibées à longueur de JT !), questions liées à la commercialisation et à la transformation des produits agricoles, etc. De même, on ne peut qu’être sceptique face aux TGP (Très Grands Projets) annoncés récemment en faveur de l’emploi des jeunes de la banlieue, d’abord parce qu’il n’y a pas de politique globale en faveur de l’emploi (dans laquelle pourrait s’inscrire une politique d’emploi au bénéfice des jeunes), et d’autre part parce que le concept même de banlieue au Sénégal manque de pertinence ou d’opérationnalité (ici, il ne s’agit en effet que d’un concept géographique ; or dans les pays où l’emploi des jeunes issus de la banlieue a un sens, notamment en terme de politique redistributive, c’est du fait du sens sociologique attachée au concept). Du point de vue de la politique économique, puisse donc l’année 2009 être celle de toutes les ruptures, mais aussi de toutes les audaces